Les « décrocheurs » de portraits de Macron invoquent « l’état de nécessité » et « la liberté d’expression »
Sept militants de la lutte climatique, qui ont décroché des portraits du chef de l’Etat dans trois mairies parisiennes en février 2019, sont passés devant la Cour d’appel de Paris, jeudi 22 octobre.
Il faudra attendre le 10 décembre, soit quasiment à la date du 5e anniversaire de l’adoption de l’accord de Paris sur le climat de 2015, pour connaître le sort que la Cour d’appel réserve aux « décrocheurs » de portrait d’Emmanuel Macron dans des mairies parisiennes. Jeudi 22 octobre, les six activistes d’Action climat Paris présents ont à nouveau justifié leur action de « désobéissance civile », arguant de l’« état de nécessité », celle d’« agir devant un danger urgent et imminent », le réchauffement climatique, selon les mots de leur avocat, Michaël Bendavid.
Ce dernier a aussi fait valoir la défense de la liberté d’expression, se fondant sur un arrêt récent de la Cour de cassation, du 26 février. Celle-ci, s’agissant de la condamnation d’une militante Femen qui avait dévoilé sa poitrine et planté un pieu dans une statue de cire représentant Vladimir Poutine, a jugé que « le comportement de la prévenue s’inscrivait dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Dans le contexte actuel, marqué par l’assassinat d’un enseignant, Samuel Paty, pour avoir montré en classe les caricatures de Charlie hebdo, l’argument de la liberté d’expression prenait un sens particulier, estimaient les prévenus.
Quant à l’urgence d’agir face à la catastrophe climatique déjà en cours et à l’inaction du chef de l’Etat dénoncée par ces militants, elle fut rappelée tout au long de l’audience tant par les prévenus et leur avocat, que par les trois témoins cités par la défense, Agnès Catoire, membre de la convention citoyenne pour le climat, Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France et ancienne ministre, et Jean-Pascal Van Ypersele, climatologue belge et ancien vice-président du GIEC.
« Manque de volonté politique »
Ce dernier, « très inquiet par rapport à l’évolution des paramètres climatiques », a expliqué longuement, exemples à l’appui, les diverses manifestations de ce dérèglement climatique, incendies, sécheresses, inondations, fonte des glaces… et les objectifs que s’étaient fixés les Etats pour limiter les émissions de gaz à effets de serre, félicitant « les jeunes » pour leur « rôle de vigie ».
Agnès Catoire a, elle, dénoncé le gap entre « la parole présidentielle et les actes qui ne suivent pas », et s’est inquiétée des « 27 mesures [sur 149 avancées par la convention] qui sont en danger et risquent d’être balayées par le gouvernement ». Quant à Cécile Duflot, elle a insisté sur la possibilité d’agir, « nous avons les clés, nous pouvons nous sen servir », et dénoncé, elle aussi, le « manque de volonté politique ».
L’une des prévenues, Pauline Boyer, d’ANV-COP21 (Action non violente-COP21), a justifié leur action « menée sans violence, sans dégradation et à visage découvert » : « La parole du chef de l’Etat est forte dans cette société, et quand elle n’est pas tenue, il faut la dénoncer. Nous avons laissé un mur aussi vide que la politique écologique d’Emmanuel Macron. »
Désobéissance civile
En première instance, le 11 septembre 2019, les militants avaient été condamnés à 500euros d’amende chacun. Le représentant du ministère public a requis le maintien de cette condamnation : « Pour louable et honorable qu’elle soit », leur démonstration « ne nécessite pas un vol en réunion ». « Il existe des lobbyistes, des groupes d’intérêt qui freinent l’action des défenseurs de l’environnement, il existe aussi des lourdeurs administratives. Les prévenus portent une conviction, on ne peut que s’en féliciter, mais on ne peut commettre d’infraction pénale pour se faire entendre », a-t-il déclaré devant la cour.
La désobéissance civile, selon lui, se justifie dans des « pays à déficit démocratique » ou « dans des périodes troubles sur le plan démocratique ». Un argument qui a été contesté par les militants et leur avocat, qui ont rappelé les actions des militants d’Act Up, des féministes pour le droit à l’avortement, ou encore celle de Rosa Parks qui, dans les années 1950 aux Etats Unis, « une démocratie » a souligné Michaël Bendavid, a lutté contre la ségrégation raciale.
L’avocat a demandé la relaxe, rappelant à la présidente du tribunal la décision en première instance du tribunal correctionnel de Lyon qui avait relaxé deux militants poursuivis pour des actions similaires, invoquant « l’état de nécessité » et jugeant « légitime » leur action de désobéissance civile, « face au défaut de respect par l’Etat d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital ». En appel, les militants ont néanmoins été condamnés à 250 d’euros d’amende chacun. Ils se sont pourvus en cassation, comme à Bordeaux ou à Bourg-en-Bresse. Cent quarante-neuf portraits du chef de l’Etat ont été décrochés dans des mairies de tout le pays, pour l’essentiel en 2019, et d’autres procès sont encore à venir, comme à Montpellier et à Reims le 10 novembre, ou encore à Valence le 13 novembre.