Harcèlement et violences dans l’armée : dix militaires, dont un lieutenant-colonel, au tribunal
À son départ de l’armée, on lui avait diagnostiqué un stress post-traumatique. Un syndrome dont ce militaire n’a pas souffert à la suite d’une mission éprouvante sur un théâtre de guerre, mais en allant travailler chaque jour, la peur au ventre, sur la base aérienne 133 Nancy-Ochey (Meurthe-et-Moselle). Mécanicien sur les Mirage 2000 de l’armée de l’air, major de promotion bardé de prix d’excellence, ce sergent avait fini, en 2019, par dénoncer le harcèlement, les humiliations et les violences dont il a expliqué avoir été victime pendant cinq ans de la part de ses supérieurs.
À l’issue de deux enquêtes internes accablantes, puis d’une enquête pénale, dix militaires, dont un lieutenant-colonel, sont jugés ce vendredi devant la chambre militaire du tribunal de Metz (Moselle). Ils sont poursuivis à la fois pour des infractions pénales, telles que le harcèlement moral, mais aussi pour des infractions au Code de justice militaire. C’est le cas du lieutenant-colonel, à qui il est reproché une « violation de consigne », en laissant l’alcool couler à flots lors d’une journée de « cohésion » qui avait donné lieu à des dérives violentes.
Insultes homophobes
Fraîchement affecté à la base de Nancy, le sergent dépeint cette journée de juin 2014 comme l’une des stations de son chemin de croix, celui d’un bizutage en règle qui semble n’avoir jamais pris fin. Ce jour-là, il raconte que ses habits ont été découpés au couteau, qu’il a été privé de nourriture, contraint de manger herbes et insectes et de boire de l’alcool, mais aussi roué de coups à deux reprises avant l’intervention du lieutenant-colonel. Un épisode que le haut gradé a toujours nié.
Lors d’autres événements alcoolisés, il aurait été frappé à coups de batte de base-ball, aurait reçu des fessées en public, été contraint de poser son sexe sur une table et, enfin, eu le crâne rasé par un adjudant, ce dernier ne lui laissant qu’une bande de cheveux en forme de phallus…
Il décrit encore des humiliations quotidiennes, dont des insultes homophobes, ses goûts vestimentaires et ses centres d’intérêt détonnant au sein de l’unité, qui l’aurait donc rapidement « catalogué ». Des brimades à répétition qui ont affecté son moral, son travail, et auraient pu avoir des conséquences graves. Notamment lorsqu’il dit avoir été forcé de veiller toute la nuit et de consommer de l’alcool lors de missions, ou avoir été privé de certains outils pour des opérations délicates de maintenance sur les avions… Ses erreurs étant sanctionnées par des coups de tournevis sur les doigts ou dans les côtes. En dépression, il avait décidé de tirer la sonnette d’alarme. À la fin, a-t-il confié aux enquêteurs, il se cachait pour pleurer, allant jusqu’à s’infliger gifles, automutilations, et à nourrir des envies de meurtre…
Tradition du « bahutage »
Interrogés, ses tourmenteurs présumés ont argué d’un élément « plus sensible au stress » que la moyenne, reconnaissant du bout des lèvres des violences, et, pour certains, le harcèlement, mais l’inscrivant dans le cadre de la tradition du « bahutage ». Quant à l’alcool, ils ont reconnu qu’il faisait partie intégrante de la cohésion de groupe.
« Cela met en lumière les dérives très graves au sein de l’armée : bizutage qui est, rappelons-le, officiellement interdit, alcoolisation massive, sexisme et homophobie, relève l’avocat du plaignant, M e Frédéric Berna. Or ces faits continuent et sont cautionnés au plus haut niveau. » Le pénaliste, spécialiste de ces dossiers, en veut pour preuve d’autres épisodes préoccupants survenus à Nancy-Ochey, comme la mort d’un sous-officier en novembre 2020. Le militaire s’était noyé avec son véhicule personnel en tombant dans un réservoir à incendie à l’issue d’une soirée arrosée. Un mois plus tard, toujours sur la base, cinq militaires déposaient plainte pour harcèlement moral, dénonçant des faits proches de ceux vécus par le mécanicien, dont la participation forcée à des beuveries.
Dans la présente affaire, l’avocate du lieutenant-colonel estime que « la relaxe est la seule décision qui pourra être prise, tant juridiquement que factuellement ». Me Margaux Durand-Poincloux pointe que son client n’était alors pas en charge de l’organisation de la journée de cohésion, n’ayant été nommé qu’un an après chef d’escadron. Contactés, les avocats des autres prévenus n’ont pas donné suite.